ALLOCUTION
Par le Pasteur HENRI MONNIER
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Au nom de mes collègues, au nom de notre grande famille de l'Etoile, j'apporte à la famille de notre cher M. Vinard l'expression de la sympathie de tous. Chers amis, qui le pleurez, votre peine est véritablement la nôtre : votre deuil est celui de cette Eglise dont il a été le pasteur pendant trente deux ans et où il n'avait que des amis.
Il ne s'agit pas seulement de sympathie, mais de reconnaissance. Il me sera permis d'apporter ici tout d'abord le témoignage de ma reconnaissance personnelle. L'accueil que M. Vinard m'a fait quand j'ai été appelé l'Etoile pour la première fois, dans l'inexpérience de la jeunesse, était tel que je m'en souviendrai toujours avec motion. Comme il savait encourager les jeunes ! Comme il savait leur dire les paroles qui réconfortent !
De cette collaboration de vingt années, je n'ai gardé que de beaux et bienfaisants souvenirs. M. Vinard était de ceux qui ne perdent rien à être vus dans l'intimité : même sa physionomie n'y faisait que grandir, si profonde était l'unité de sa personne morale. Il ne devenait pas pasteur en revêtant l'uniforme. Il l'était essentiellement et sans effort, et de la façon la plus humaine qui fût. En lui, le pasteur et l'homme se confondaient absolument dans l'harmonie d'une nature à la fois très une et très nuancée. Rien chez lui qui ne fut transparent. Et cette âme à la fois si saine et si forte était en même temps une âme d'artiste, de poète, apte à percevoir toutes les mélodies des choses. Volontiers, quand il en avait le loisir, pour se délasser un moment des tâches coutumières, il chantait les œuvres divines. Le titre du recueil qu'à la demande de ses amis il avait fini par rassembler : "Par les sommets, vers l'au-delà" définit admirablement la nature de ses inspirations. Dans ce livre qui nous restera cher, on trouvera précisées en deux strophes lapidaires les intentions de cette apologie de l'Evangile qui faisait le centre de sa prédication :
Fais au jour le jour ce que ton Dieu t'ordonne ;
Prends pied chaque matin sur le roc du devoir,
Compte un progrès de plus à chaque heure qui sonne ;
Agir est le secret de croire et de savoir.
Les devoirs accomplis sont les degrés sublimes
Par où l'homme s'élève aux splendeurs de la foi.
Marche fidèlement : tu parviendra aux cimes,
Et les secrets divins se livreront à toi.
Ce n'est pas seulement sa prédication que ces vers définissent, c'est sa vie. Quelle admirable existence, où le devoir le plus austère n'assombrit jamais la joie, où le labeur physique s'associe toujours au travail de l'esprit, où la scrupuleuse surveillance de soi-même s'alliait à l'enjouement et à la plus saine et la plus franche gaieté. Nous nous souviendrons de l'exemple permanent que donnait cet intérieur de famille si lumineux et si bienfaisant, où tous étaient tendrement unis autour d'un père qui, vénéré de tous, savait être le meilleur ami de ses enfants.
Ce qui, par dessus tout attirait les cœurs à M. Vinard, c'était avec cette touchante modestie qui le caractérisait, son immense bonté, cette charité qui ne permettait jamais la plus légère critique et qui toujours cherchait à couvrir les le fautes d'autrui. Charité d'autant plus remarquable qu'elle allait de pair avec une extrême sévérité à l'égard de lui-même.
M. Vinard avait de plus un don de sympathie qui faisaient de lui l'ami de tous ceux qui pleuraient., le pasteur aimé entre tous des humbles, des pauvres, des vaincus de la vie. Ils allaient à lui, sûrs que son cœur saurait les comprendre.
A Clichy, au début de son ministère, à Levallois au terme de cette belle activité de cinquante ans, ceux qui souffraient ont reconnu en lui leur ami et véritablement leur père spirituel. Son cœur appartenait à tous : mais il sentait une particulière inclinaison pour ceux auxquels l'existence avait été dure. Il savait comprendre toutes les inquiétudes des âmes ; il adoucissait en y compatissant l'amertume des doutes, et parfois ils achevaient de se dissiper au contact d'une si calme et si forte certitude.
Dans cette âme de tendresse, la pensée de l'au-delà fut toujours présente. M. Vinard se sentait attiré vers le ciel par cette aspiration vers l'harmonie et la sainteté qui était en lui. Il l'a dit dans ce beau cantique dont il a composé les paroles, inspirées de Moody :
Dans ma terrestre demeure
Mon cœur languit inquiet.
Je l'entends tout bas qui pleure ;
N'est-il donc pas satisfait ?
Qui, dans ce monde imparfait
Est un exil où je pleure ;
Je serai satisfait
D'avoir le ciel pour demeure.
Sans doute c'est là le cri de l'âme froissée, de l'âme meurtrie, dont il savait si bien comprendre la douleur. Mais ce cri, lui-même il l'a fait monter ver Dieu le jour où il a été frappé au cœur par la mort de ce fils tendrement aimé dont l'âme héroïque a fait resplendir parmi l'horreur du champ de bataille la plus pure image de la charité chrétienne, de ce grand amour qui porte le disciple de Jésus à donner sa vie pour ceux qu'il aime.
Au moment où il a vu ses enfants partir pour le front, M. Vinard m'a dit : "Je les aurais du moins bien préparés pour le ciel."
Une parole comme celle là découvre le sanctuaire : un tel homme n'a vécu ici bas que pour ce qui est éternel.
Lorsque, après avoir donné le plus admirable exemple de sérénité dans l'épreuve qui, pour lui, mettait fin au bonheur terrestre, il a vu ses forces le trahir, son espoir secret était de revenir faire ses adieux à ceux dont il avait été le pasteur pendant tant d'années. Il avait déjà choisi le texte de son sermon : "Seigneur, laisse maintenant ton serviteur en paix, car mes yeux ont vu ton salut."
Cette prière, Dieu l'a exaucée. Il a donné à notre frère cette mort paisible et soudaine à la fois qui a été, depuis les temps bibliques, la récompense d'un si grand nombre de serviteurs de Dieu. Comme Eugène Bersier, M. Vinard est tombé en pleine activité d'esprit, sans avoir connu la tristesse du déclin. N'était-ce pas une inspiration secrète qui l'avait ramené pour y mourir, dans cette ville où s'était déroulée la plus grande partie de sa carrière de pasteur, auprès de cette Eglise qui était sa famille agrandie ?
Cette journée de Dimanche a été pour lui une succession de joies : joie de revoir sa chère Etoile, joie d'y lire, comme autrefois et d'une voix que n'avait pas affaiblie la maladie, cette liturgie de Bersier qu'il aimait ; joie de serrer toutes ces mains qui se tendaient vers lui ; joie de revoir le nom de son fils sur le monument funéraire consacré aux morts de la grande guerre. "Quelle belle journée" disait-il, le soir. Il ajoutait : "Je ne savais pas à quel point j'étais aimé à l'Etoile. Maintenant, je puis partir." Comme son enfant bien-aimé, il est tombé au champ d'honneur. Il est mort à son poste. Et devant cette fin subite, si calme, nous répétons dans notre tristesse : Eternel, que je meure de la mort du juste et que ma fin soit semblable à la sienne !
Mes frères, je voudrais en terminant demander un mot d'ordre à celui qui nous a quittés, mais dont je sais qu'il prie pour nous et qu'il n'abandonnera pas ceux qui ont pour tâche de continuer son œuvre. Ce mot d'ordre, je le trouve dans la réponse à l'adresse qui, le printemps dernier, lui avait été envoyée au nom de notre Eglise : Chers amis de l'Etoile, écrivait-il, les nombreux deuils de nos familles sont, entre nous, un lien sacré, une voix de plus d'un (grand) passé pour nous dire "Par dessus toutes choses ayez en vous un ardent amour." Disons plutôt que c'est la grande voix de l'avenir du sein duquel nos chers disparus nous attendent, et ne cherchons point parmi les morts ceux qui sont vivants ; mais pour affermir en nous la certitude, à mesure que la mort nous sépare, que c'est elle qui, un jour, nous réunira pour jamais, restons étroitement unis ici-bas, dans nos familles et dans nos Eglises, autour du Christ, Sauveur des hommes, guide de la vie et vainqueur de la mort.
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Maj. 05-03-04